Les pirates rêvent-ils d’un monde sans Big Brother ?

Salut les forbans du futur antérieur, les accros à la SF qui sent le vécu et les théoriciens du complot à mi-temps ! Aujourd’hui, on va causer d’un truc qui…

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Salut les forbans du futur antérieur, les accros à la SF qui sent le vécu et les théoriciens du complot à mi-temps ! Aujourd’hui, on va causer d’un truc qui nous titille la rétine et les neurones : nos bons vieux pirates de l’espace, Albator (ハーロック, Hārokku, Harlock en version originale) et Cobra (コブラ, Kobura) en tête de gondole, sont-ils les derniers remparts face à un Big Brother qui aurait troqué ses moustaches pour des algorithmes et des cookies ? Accrochez vos ceinturons, ça va tanguer entre la philosophie pop et la castagne cosmique.

Albator, capitaine fantôme dans un monde de dormeurs

Ah, Albator ! Ce corsaire mélancolique avec sa balafre, son Arcadia invincible et son équipage de bannis… Plus qu’un simple héros, c’est une gueule cassée magnifique, un doigt d’honneur permanent à une Terre technocratique, molle et décadente qui a vendu son âme pour un confort aseptisé. Le Capitaine Harlock, c’est le type qui a compris avant tout le monde que la vraie prison n’est pas faite de barreaux, mais d’indifférence et de conformisme. Son combat n’est pas tant contre des humanoïdes belliqueux que contre l’apathie générale, cette « fatigue d’être soi » dont parlera bien plus tard notre ami Byung-Chul Han.

Albator, c’est l’incarnation d’une résistance romantique, presque désespérée. Il vogue dans son océan cosmique, porteur d’un idéal que plus personne ne comprend ou ne veut défendre. Son vaisseau, l’Arcadia, est moins une machine de guerre qu’un sanctuaire, une zone autonome temporaire (ou plutôt permanente) où les lois de la Terre consumériste et contrôlée n’ont plus cours. Il incarne la fuite, non pas comme une lâcheté, mais comme un acte de préservation ultime d’une flamme qui menace de s’éteindre. Il est le spectre qui hante les nuits d’une société qui a oublié de rêver, trop occupée à optimiser son profil et à compter ses « amis » virtuels. Une sorte d’anomalie poétique dans la grande feuille de calcul de l’univers. Sa critique dystopique Albator Cobra Orwell Han se lit dans chaque coup de canon laser tiré contre l’ordre établi.

Cobra ou l’art de saboter la norme par le plaisir

Changeons de registre, mais pas de galaxie. Face au ténébreux Albator, on a Cobra. Lui, c’est le bon vivant, le mercenaire au Psychogun greffé dans le bras gauche, toujours prêt pour une bonne baston, un bon coup ou un bon cigare (souvent les trois en même temps). Si Albator est la conscience morale en exil, Cobra, c’est l’individualisme jouissif, le grain de sable hédoniste dans la machine bien huilée du contrôle. Il ne cherche pas à sauver l’univers, mais plutôt à sauver sa peau et son plaisir, ce qui, dans un monde qui veut tout normaliser et tout aseptiser, devient un acte de rébellion en soi.

Cobra, c’est le roi de l’esquive, le champion de la dissimulation. Il change de visage, d’identité, se fait passer pour mort, tout ça pour échapper à la Guilde des Pirates (qui, ironiquement, représente une forme d’ordre totalitaire dans son propre milieu). Sa fuite dystopique est moins philosophique que celle d’Albator, mais tout aussi efficace. Il sabote la norme par le rire, par l’excès, par une liberté sexuelle et une désinvolture qui font grincer les dents des bureaucrates galactiques. Il est le bug rigolard dans la matrice, celui qui rappelle que le corps et le désir sont des zones de résistance primordiales. On imagine bien Cobra, un sourire en coin, dire à Big Brother : « Tu veux tout voir ? Mate ça ! » avant de lui faire un bras d’honneur avec son rayon Delta.

Big Brother version 2025 : beau, lisse, et intégré

Parlons-en, de ce Big Brother. Le moustachu d’Orwell, avec ses télécrans et sa Police de la Pensée, ça nous semblait presque grossier, non ? Un peu « vintage » comme menace. Mais le Big Brother de 2025, celui que Byung-Chul Han nous dépeint dans sa « Société de Transparence » ou sa « Société de Contrôle« , il est bien plus pervers. Il n’a plus besoin de nous mater avec des caméras à chaque coin de rue (même s’il le fait aussi, hein, faut pas déconner). Non, son coup de génie, c’est de nous avoir convaincus que la transparence est une vertu, que l’exposition de soi est une libération.

On se met à poil volontairement sur les réseaux, on « like« , on partage, on commente, on alimente la machine avec nos données personnelles, nos désirs les plus intimes, nos peurs les plus profondes. Et la machine, elle, ne nous juge pas avec la brutalité d’un O’Brien torturant Winston dans la chambre 101. Non, elle nous « nudge« , elle nous profile, elle nous propose des contenus « pertinents« , des amis « suggérés« , des produits « adaptés« . C’est une société de surveillance douce, insidieuse, où le panoptique est devenu numérique et participatif. On est nos propres geôliers, fiers de nos chaînes dorées. Comme le dit Han, on ne crie plus « Big Brother is watching you« , mais on s’expose volontairement dans une vitrine numérique, en quête de reconnaissance. La fatigue d’être soi, c’est aussi la fatigue de devoir constamment se mettre en scène, de performer sa propre existence.

Pirater l’ordre, c’est aussi hacker l’imaginaire

Alors, que peuvent nos pirates de l’espace face à cette nouvelle donne ? Albator, avec son refus radical, nous rappelle l’importance des « zones blanches« , des espaces où se retirer du flux constant d’informations et d’injonctions. Il est le gardien d’une « négativité » nécessaire, celle qui permet de dire non, de critiquer, de s’opposer. Dans un monde où tout doit être positif, lisse et sans aspérité, son silence et sa distance sont des actes de résistance culturelle majeurs.

Cobra, lui, nous montre la voie d’une guérilla plus souple, celle du détournement, de l’ironie, du jeu. Il hacke le système non pas pour le détruire de front, mais pour y créer des failles, des espaces de liberté éphémères mais intenses. Il nous invite à ne pas prendre trop au sérieux les discours dominants, à cultiver notre jardin secret, même si c’est juste pour y fumer un bon cigare en paix. Sa stratégie, c’est celle du « détournement » situationniste appliqué à la philosophie pop.

Leurs récits, que ce soit dans le manga, l’anime ou la BD, sont des brèches dans le mur du consensus mou. Ils continuent d’alimenter un imaginaire rebelle, de nous fournir des figures auxquelles s’identifier pour ne pas sombrer dans l’aliénation douceâtre du tout-numérique. Un peu comme les premiers hackers qui exploraient les failles du Cyberpunk naissant, ils explorent les failles du contrôle social.

Deleuze, Han et les pirates : la bande des incorruptibles

Si on pousse un peu le bouchon philosophique, on pourrait dire qu’Albator et Cobra incarnent des « lignes de fuite » chères à Deleuze. Ils refusent l’organisation molaire, la territorialisation de l’existence par des pouvoirs qui veulent tout quadriller. Albator trace une ligne de fuite cosmique, emportant avec lui un fragment d’humanité insoumise. Cobra, lui, multiplie les lignes de fuite à l’intérieur même des systèmes, tel un nomade changeant constamment de territoire pour échapper à la capture.

Face à la « société de la fatigue » de Han, où l’individu s’auto-exploite jusqu’à l’épuisement en croyant se réaliser, nos deux pirates opposent des formes de souveraineté. Albator par la fidélité à un serment, à une cause qui le dépasse. Cobra par une affirmation de soi qui passe par le plaisir et le refus de toute forme d’asservissement, même celle, plus subtile, de l’injonction à la performance. Ils ne sont pas « fatigués d’être soi » ; ils sont, tout simplement, avec une intensité qui fait pâlir nos existences souvent réduites à des profils optimisés. Ils nous rappellent, à la manière d’un Kafka spatial, l’absurdité d’un système qui broie l’individu, mais ils y répondent par l’action et la ruse plutôt que par la paralysie. C’est un peu le Black Mirror des années 80, mais avec plus de panache et moins de cynisme clinique.

Le pirate, qu’il soit celui de l’espace ou le hacktiviste moderne, c’est celui qui dit « merde » à la feuille de calcul existentielle. C’est celui qui refuse que son imaginaire soit colonisé par les algorithmes. Il nous rappelle que la liberté n’est pas un état, mais une conquête permanente, un bricolage incessant aux marges du système.


🎯 La fuite, ce panache ultime

Alors, nos pirates de l’espace rêvent-ils d’un monde sans Big Brother ? Carrément ! Mais plus encore, ils incarnent ce rêve par leur existence même. Albator nous enseigne que le refus radical et la préservation d’un idéal, même solitaire, sont des armes. Cobra, que la joie de vivre et la capacité à se réinventer sont les meilleurs antidotes à la morosité du contrôle. Dans un monde qui nous somme d’être transparents, traçables et prévisibles, leur opacité, leur mobilité et leur imprévisibilité sont des luxes subversifs.

Peut-être que la leçon ultime de ces figures de la SF japonaise, c’est que face à une surveillance omniprésente et à une pression conformiste toujours plus forte, la fuite n’est pas une démission. Elle peut être une stratégie de survie, un acte de création, une affirmation de liberté. Disparaître des radars, cultiver son jardin secret, choisir ses propres batailles, même perdues d’avance… C’est peut-être ça, la forme ultime de lutte. Plutôt crever libre dans l’immensité cosmique que de vivre à genoux dans un open space panoptique. À méditer, les amis, en attendant le prochain signal de l’Arcadia.


📚 En savoir plus (liens internes) :

  1. La Destruction de Tokyo: Obsession Japonaise de Akira à Tokyo Jungle
  2. L’empire invisible des algorithmes : Façonner notre futur
  3. Le cyberpunk est-il mort ?

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