Severance saison 1 : le travail, c’est l’enfer ?
Severance saison 1 : une dystopie glaçante où l’aliénation salariale et la mémoire fracturée révèlent l’enfer feutré du monde de l’entreprise.
Une série qui transforme l’open space en zone de torture mentale ? 🧠 Severance saison 1 frappe fort avec sa vision cauchemardesque du travail. Dissociation de l’identité, bullshit jobs et déshumanisation made in Lumon : on plonge dans le cerveau (morcelé) de Mark Scout pour un voyage critique dans l’antre du capitalisme cognitif.
Bienvenue chez Lumon : quand le travail s’infiltre dans l’âme
Dès les premières minutes, Severance impose son atmosphère. Des couloirs infinis, blancs et aseptisés. Une moquette verte criarde. Des bureaux d’une symétrie parfaite, où le vide semble plus oppressant que le bruit. 🧊 L’esthétique de Lumon Industries, quelque part entre la froideur clinique d’un hôpital psychiatrique et le design minimaliste d’une startup de la Silicon Valley, n’est pas un simple décor. C’est une déclaration d’intention. Le réalisateur Ben Stiller et le créateur Dan Erickson nous plongent dans un univers où chaque cadre, chaque silence, chaque objet est un outil de contrôle.
Le postulat de base est aussi simple que terrifiant : la procédure de « Dissociation » (ou Severance), qui sépare chirurgicalement les souvenirs d’un employé entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Votre « Innie » (la version de vous qui travaille) ignore tout de votre vie extérieure, et votre « Outie » (votre moi du dehors) n’a aucune idée de ce qu’il fait de 9h à 17h. Pour l’Outie de Mark Scout (Adam Scott), c’est une échappatoire au deuil. Pour son Innie, c’est une naissance dans une prison sans murs, un enfer pavé de bonnes intentions managériales. 💼 C’est ici que la série déploie sa première grande idée, inspirée par le philosophe Michel Foucault : le biopouvoir. Lumon ne se contente pas de gérer votre temps de travail ; l’entreprise s’infiltre dans votre biologie, dans votre conscience même. Elle possède non seulement votre force de travail, mais aussi votre âme, ou du moins, une version d’elle.
Le cerveau en open space : mémoire divisée, identité broyée
La véritable angoisse de Severance réside dans la fragmentation de l’identité. Les Innies sont des êtres neufs, sans passé, sans famille, sans repères autres que le règlement intérieur de l’entreprise. Leur existence est une journée de travail sans fin. Ils sont les esclaves parfaits : ils ne savent même pas qu’ils sont prisonniers. ⛓️ Cette mémoire dissociée devient l’outil de surveillance ultime. Comment se rebeller quand on ne se souvient de rien d’autre ? Comment rêver d’un ailleurs quand notre univers se limite à un étage de bureau ?
Les managers, comme la terrifiante Harmony Cobel (Patricia Arquette) ou le souriant tortionnaire Seth Milchick (Tramell Tillman), incarnent une forme moderne de la banalité du mal théorisée par Hannah Arendt. Ils ne sont pas des monstres sadiques (quoique…), mais des bureaucrates zélés, des gardiens d’un système dont ils appliquent les règles avec une dévotion quasi religieuse. La salle de pause, où les employés sont forcés de lire des excuses formatées jusqu’à ce qu’ils les ressentent « sincèrement », est une illustration glaçante de ce contrôle des affects. 📂 Le pouvoir chez Lumon n’est pas seulement disciplinaire ; il est pastoral, il veut modeler les esprits et les émotions.
Le réalisme capitaliste selon Fisher : fuir est impossible
« Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme. » Cette célèbre formule du philosophe Mark Fisher résonne à chaque étage de Lumon. Pour les Innies, Lumon est le monde. Leur horizon mental est si limité qu’ils ne peuvent concevoir une alternative. 🕳️ C’est la définition même du réalisme capitaliste : un système qui se présente comme la seule réalité possible, neutralisant toute forme de contestation en amont. La tentative d’évasion de Helly (Britt Lower), qui se solde par un message vidéo de son Outie lui ordonnant froidement de retourner à son poste, est une métaphore cruelle de cette impasse.
Même le monde extérieur est teinté de cette idéologie. L’univers de Severance n’est pas un futur lointain. C’est le nôtre, à peine déformé. Les débats politiques sur l’interdiction de la Dissociation, les produits dérivés Lumon… tout suggère une société où cette pratique est non seulement acceptée, mais intégrée dans la logique de marché. Le capitalisme a trouvé une nouvelle frontière à coloniser : notre propre cerveau. 🌀
Haraway et les cyborgs de bureau : vers l’humain programmable
Avec la Dissociation, les employés de Lumon deviennent des cyborgs au sens où l’entendait la philosophe Donna Haraway : des hybrides de chair et de machine, des organismes dont les frontières ont été redéfinies par la technologie. 🧬 Ils ne sont plus des sujets autonomes, mais des ressources humaines programmables, des fonctions sur un organigramme. Leur humanité est réduite à une série de « quatre tempéraments » – Malice, Effroi, Douleur et Joie – que l’on peut activer sur commande. ⚙️
Ce sont des clones modernes, interchangeables, dont la seule valeur réside dans leur productivité. Cette déshumanisation est la clé du système Lumon. En transformant un humain en Innie, on le dépouille de ses droits, de son histoire et de sa capacité à dire non. On obtient l’employé parfait : efficace, docile et totalement déconnecté des conséquences de ses actes. 🤖
Dystopie d’entreprise ou miroir fidèle du réel ?
Alors, Severance, une simple dystopie du travail de plus ? Pas seulement. La force de la série est de tendre un miroir à notre propre réalité. 📺 Que font Mark, Helly, Dylan et Irving toute la journée ? Ils trient des chiffres sur un écran en fonction de l’émotion que ces derniers leur inspirent. C’est l’incarnation parfaite des bullshit jobs décrits par l’anthropologue David Graeber : des emplois vides de sens, absurdes, dont la seule fonction est d’occuper les gens.
braCette absurdité bureaucratique renvoie autant à Kafka qu’à Brazil de Terry Gilliam. Mais elle fait surtout écho à des angoisses très contemporaines : le burn-out, la perte de sens au travail, la « grande démission », la façon dont le télétravail a brouillé les frontières entre vie pro et vie perso. Qui n’a jamais pratiqué une forme de « dissociation » mentale pour survivre à une journée de réunions inutiles ? 🧘
Severance dialogue avec d’autres œuvres qui ont exploré ces thèmes : la mémoire numérique et l’identité factice de Black Mirror, la paranoïa anti-corporatiste de Mr. Robot, l’absurdité du quotidien de bureau de The Office (mais sans les rires), ou encore la schizophrénie consumériste de Fight Club. 🎥 La série est une bombe 💣 à fragmentation qui pulvérise le mythe de l’épanouissement par le travail.
En fin de compte, la question que pose Severance n’est pas tant de savoir si le travail, c’est l’enfer, mais plutôt : pourquoi acceptons-nous qu’il le devienne ? La quête désespérée des Innies pour découvrir qui ils sont à l’extérieur est une métaphore poignante de notre propre besoin de réconcilier ce que nous sommes avec ce que nous faisons.
Et si on arrêtait de croire que « travailler plus » nous rendait meilleurs ? À l’image de Severance, c’est peut-être le moment de recâbler nos cerveaux… avant que d’autres ne le fassent à notre place.